10.3 Le type « Petite station balnéaire de l'Atlantique et de la Manche »

Ce qui fait l'originalité de ces petites stations, c'est tout d'abord leur développement tardif : courant XXe siècle, et pour la plupart d'entre elles à partir seulement de la seconde moitié du siècle dernier.

Le commerce local n'est pas préparé à la demande des nouveaux estivants. J.M.G Le Clézio, dans « Chanson bretonne », évoque son enfance tous les étés, à Sainte-Marine, à l'embouchure de l'Odet, face à Bénodet qui est « la station balnéaire » du sud de la Cornouaille, depuis la fin du XIXe siècle-début XXe siècle. Dans les années 1950, ses parents avaient fait le choix original d'être dans les premiers touristes à s'intéresser à ce village de pêcheurs et de paysans. (Avant la grande modernisation des années 1960 et suivantes).

ExempleDocument 1 : J. M. G. Le Clézio, Chanson bretonne, Gallimard, 2020

« Ce qui faisait de Sainte-Marine un village à part, c'était l'absence de commerces [...] parce que de fait chacune de ces maisons modestes était un endroit où on pouvait acheter, selon l'occasion, un poisson, des crevettes, un crabe, ou simplement quelques légumes terreux arrachés au jardin. L'unique boutique digne de ce nom ; c'était un magasin à tout vendre, qui appartenait à la ferme Biger (de Poulopris). On y entrait de plain-pied, juste en poussant la porte munie d'une sonnette aigrelette, et on achetait ce qu'on trouvait : des conserves (du lait condensé, des sardines en boîte, des petits pois), du vin d'Algérie au litre, des légumes secs en vrac, et des choses aussi indispensables que des rouleaux de papier hygiénique, des allumettes (et des cigarettes), et surtout ce qui m'émerveillait, de la confiture gélifiée vendue à la louche, dont je n'ai pas oublié le goût, même si je suis incapable de dire s'il était de la pomme , du raisin ou du coing. La boutique Biger était aussi l'unique dépôt de pain, des miches définitivement industrielles fabriquées à Quimper, toujours dures et rassies à tel point que les gosses chargées de les ramener à la maison s'en servaient comme des tabourets pour se reposer le long du chemin. »

Nos empruntons à Daniel Clary (Le tourisme dans l'espace français chez Masson, 1993) cet essai de modélisation de l'évolution d'un système littoral voué à l'agriculture et à la pêche, illustrant l'émergence et le développement d'une station balnéaire. Daniel Clary, souvent centré sur la Normandie, pensait sans doute à Carteret ou à Coutainville dans le département de la Manche. Mais Berk dans le Pas-de-Calais ou de nombreuses stations balnéaires bretonnes pourraient constituer d'excellentes illustrations de ce type d'évolution.

Au départ un centre rural excentré de la plage, le village de pêcheur et le port sur le front de mer, et plus haut les falaises avec la lande, la forêt et quelques hameaux ou fermes isolées.
Figure 18. Le système pré-touristiqueInformations[1]
Suite de l'image précédente, le centre rural s'est étendu, il y a des lotissements, un camping, la station est entre le village de pêcheur et le centre rural directement sur le front de mer, le port est devenu un port de plaisance et la lande/forêt on vu arriver quelques résidences secondaires
Figure 19. Le système actuel de la petite station balnéaireInformations[2]

Ainsi, Pléneuf-Val-André sur la côte orientale de la baie de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor) qui se structure actuellement en trois centralités : le bourg ancien de Pléneuf sur le plateau en arrière du littoral, la station balnéaire du Val-André et l'ancien port de pêche de Dahouët transformé en port de plaisance. Chaque centralité a sa spécificité commerciale : Au bourg les commerces du quotidien ; à la station balnéaire ses restaurants et bars, et magasins de « souvenirs », ;au port de plaisance, quelques rares restaurants, sans oublier l'hypermarché Leclerc, à la périphérie de l'agglomération, qui rafle une grande partie du marché alimentaire des résidents et des touristes.

Autre bel exemple de petite station bipolaire, Morgat-Crozon, à la pointe du Finistère, dont l'évolution spatiale correspond presque exactement aux schémas de Daniel Clary. Morgat, éloigné de 3 km du bourg de Crozon, se bâtit à partir de la décennie 1880 quand Armand Peugeot, industriel du Doubs, tombe sous le charme de ce petit port de pêche. Pour le rendre « fréquentable », il va y faire construire des hôtels (au nombre de trois en 1912), un garage (le jeune garagiste sera formé à Sochaux au sein des usines d'automobile en ce début du XXe siècle), une épicerie fine, c'est-à-dire le « strict nécessaire » pour y attirer une population saisonnière à majorité non bretonne.

Actuellement, cette petite station balnéaire organisée autour de sa plage et de son port de plaisance concentre les hôtels (au nombre de trois), les restaurants et les bars sur son « front de mer », les magasins de souvenirs ; Crozon conservant un centre commerçant animé par la fréquentation des résidents permanents (actifs liés à la base des sous-marins nucléaires de l'Île-Longue, à l'Ecole navale, mais aussi au secteur tertiaire). Mais le chiffre d'affaire le plus important se fait à la périphérie orientale de la ville autour de l'hypermarché Leclerc (jardinerie, bricolage, etc...). Dans cette zone commerciale, on y retrouve les résidents à l'année mais aussi les touristes.