7.3 Une idée actuelle : les bienfaits du bord de mer – Frédéric LE BLAY

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3. Une idée actuelle : les bienfaits du bord de mer.

Naissance et développement du tourisme balnéaire

Il faut se demander maintenant ce qui fait du littoral un espace attractif et recherché, au point que les côtes constituent désormais dans bien des aires géographiques les zones les plus densément peuplées, des zones à fort développement économique et à forte attractivité.

Notons au passage que c'est cette densité démographique des zones littorales qui est un facteur déterminant de leur vulnérabilité face aux aléas climatiques ou sismiques.

Je laisserai de côté les enjeux commerciaux liés à l'ouverture sur la mer et me concentrerai sur un phénomène récent dans notre histoire, celui du tourisme balnéaire.

Cette évolution historique a déjà été bien étudiée et l'on peut dater l'engouement des européens pour ce nouveau loisir que furent les bains de mer du début du XXe siècle. La tendance commence en réalité plus tôt et les séjours réguliers de l'impératrice Eugénie et de la cour de Napoléon III à Biarritz firent la fortune de cette localité comme haut lieu de la villégiature aristocratique et bourgeoise. Le début du XXe siècle marque les prémisses de la popularité des vacances en bord de mer, mouvement que l'arrivée des congés payés en France ne fit qu'accentuer. Il faut aussi invoquer le rôle joué par le développement du chemin de fer, qui rapproche les plages des villes.

Progressivement, les villes balnéaires prennent le pas auprès des bourgeois fortunés sur les villes thermales. Il s'agit toujours de s'adonner aux bienfaits de l'eau mais il ne s'agit plus des mêmes eaux. Le discours hygiéniste ou simplement médical sur les bienfaits du bain de mer, sur les effets bénéfiques de l'exposition au grand air venu du large, puis, plus tard sur ceux de l'exposition au soleil – dernier point sur lequel nous sommes revenus du fait d'une augmentation des cancers de la peau induite par les mêmes causes – a beaucoup contribué à encourager les séjours courts ou prolongés en bord de mer et le littoral s'est ainsi doté de vertus qui étaient auparavant plutôt dévolues à la montagne, à ses eaux et son air purs.

Il est intéressant de noter que si le séjour au bord de la mer se popularisa au point d'apparaître aujourd'hui comme un plaisir à la portée de presque tous, le thermalisme, qui connaît un déclin certain, reste une activité de loisir ou de santé qui ne touche qu'une frange marginale de la population, plutôt aisée et âgée.

Les bords de mer offraient de larges espaces à développer, dont certains étaient encore très sauvages et peu exploités, qui pouvaient accueillir, moyennant les aménagements ad hoc, des flux importants de touristes, ce que les zones montagneuses et les reliefs où le thermalisme prend le plus souvent ses quartiers permettent dans une moindre mesure. Quant au bain lui-même, ainsi qu'à toutes les activités ludiques de bord de mer, ils requièrent peu ou pas d'aménagement. Une simple plage suffit pour offrir le plaisir et les bienfaits attendus. Après un mouvement général de bétonisation du littoral au nom du tourisme de masse, le caractère naturel ou sauvage de la côte, du moins la perception que l'on en a, fait d'ailleurs aujourd'hui partie des critères de choix qui peuvent faire le succès d'une station balnéaire sur une autre.

Bienfaits de la mer

Désormais, on se tourne volontiers vers les mers et les océans comme les réservoirs, que l'on estime illimités ou presque, de ressources qui pourront garantir l'avenir des hommes, qu'il s'agisse de leur santé ou de leur alimentation.

Le sel est un produit de la mer dont l'exploitation est très ancienne. On sait à quel point son commerce fut essentiel, fortement encadré et taxé (à travers la Gabelle), au Moyen-Âge et jusqu'à l'époque moderne. On lui attribue certaines vertus mais il permet surtout la conservation des aliments avant l'apparition des techniques d'appertisation et de congélation. Il a souvent le statut de monnaie d'échange tant il est considéré comme précieux. Rappelons que le mot « salaire » renvoie au salarium, c'est-à-dire la quantité de sel qui venait compléter la solde des légionnaires romains. Même s'il n'occupe plus aujourd'hui la même place dans les échanges commerciaux, le sel de mer représente toujours une denrée recherchée à travers laquelle certaines régions construisent leur image. À l'heure de la promotion du bio et du naturel, le produit est chargé de valeurs positives, aussi bien du fait des modalités de son exploitation, qui ne reposent pas sur des procédés industriels, les saulniers étant attachés à préserver l'image d'un métier traditionnel. La promotion de la tradition et du « terroir » sont devenus des aspects déterminants et différenciants d'un tourisme qui se veut durable et responsable. D'autres activités perçues comme ancestrales, ainsi la pêche pratiquée de manière artisanale, participent désormais de cette image et des valeurs attachées à la vie en bord de mer. Chaque région tend à valoriser ses productions locales et celles dont l'économie repose en grande partie sur le tourisme balnéaire n'échappent pas à la règle. Les représentations positives attachées à l'environnement maritime, dont le tourisme est un facteur essentiel, peuvent constituer un moteur économique dont les effets se font ressentir sur tous les secteurs d'activité.

J'en donnerai pour exemple la marque « Produit en Bretagne », présentée comme une garantie de qualité tout autant que comme l'affirmation d'une identité culturelle, dont le symbole est un phare. Alors que, comme je l'ai dit, la culture bretonne ne se limite en réalité pas à l'Armor.

La valorisation récente des algues comme une sorte de Panacée universelle participe de cette perspective d'avenir que l'on fait porter sur l'environnement marin. Les algues intéressent désormais scientifiques et industriels, aussi bien du côté de l'industrie pharmaceutique que de celui du secteur agro-alimentaire. Leur exploitation et leur culture apparaissent comme la solution miracle.

Jusqu'à l'arénicole, le vers de nos plages, qui devient un enjeu des bio-essais et dont on envisage que l'hémoglobine puisse se substituer un jour au sang humain dans les transfusions, entre autres propriétés bénéfiques que l'on découvre à cette créature qui n'avait jusqu'alors d'autre intérêt que de servir d'appât pour la pêche.

Il est certain, que face aux défis d'avenir, les littoraux concentrent aujourd'hui toutes les attentions. On pourrait parler des énergies vertes et de l'utilisation des forces éolienne et marémotrice. Les stations balnéaires et les zones côtières en général, indépendamment de leur attractivité touristique, pourraient devenir les poumons du XXIe siècle.

Santé des corps et libération des mœurs...

Les plages sont aussi devenues, à partir du lancement de la mode des bains de mer, les lieux du dévoilement voire de l'exposition des corps.

On sait que ce dévoilement a pu susciter toute sorte de controverses à mesure de cette histoire qui nous fit passer du maillot de bain en tricot, recouvrant la plus grande partie du corps, à la nudité complète de certaines plages réputées pour cette pratique collective, en passant par le bikini des Trente Glorieuses et le monokini ou le string des années 1980-1990. Mais de fait, la vie au grand air des bords de mer a pu aussi être vécue comme une libération des corps et des mœurs, une parenthèse de liberté permettant de rompre, ne serait-ce que l'espace d'un été, avec les contraintes et les carcans de la société urbaine et bourgeoise. Sea, Sex and Sun, comme dit la chanson...

Il n'est pas impossible que, du fait d'un contexte socio-culturel différent, nous n'assistions actuellement à l'inversion d'une tendance : j'en juge par les arrêtés municipaux interdisant désormais les tenues jugées « indécentes » dans les rues et commerces de certaines communes balnéaires. Ce qui serait acceptable sur la plage ne le serait plus à quelques centaines de mètres de celle-ci, confirmation de ce que la plage apparaît bien comme une sorte d'espace à part des conventions sociales, où l'on peut se livrer à ce qui passerait pour inacceptable en d'autres lieux. Les polémiques relatives à l'usage de certains types de maillots de bain sur la plage ou dans les piscines municipales, la polémique récente sur la tenue correcte exigée des jeunes filles à l'école sont de la même veine. Il ne s'agit certes pas toujours d'activités de plage mais nous voyons bien qu'une forme de puritanisme ou d'ordre moral fait son retour. On peut alors légitimement se demander quel visage offriront nos plages en 2050 : y verrons-nous refleurir, comme les jeunes filles de Balbec alias Cabourg chères à Marcel Proust, les tenues très habillées qui étaient celles de la bourgeoisie découvrant les joies des bains de mer au tournant des XIXe et XXe siècles ? On pourra dire que tout cela est affaire de mode mais la mode est aussi le reflet d'injonctions sociales.

Parlant de mode, on ne peut pas ne pas évoquer la culture ou le mythe qui entourent de leur aura le monde les plages à partir des années 1960. Je parle ici des corps jeunes, bronzés et respirant la santé dont la culture des surfeurs se veut encore le héraut. Ce mythe prend naissance en Californie et se répandra très vite un peu partout où il y a des plages et des jeunes gens pour s'y rassembler. Le mouvement hippie, dont le berceau est également californien, est d'une autre inspiration mais la plage occupe dans son imaginaire comme dans sa réalité une place non négligeable. Culture du surf et mouvance hippie se sont souvent rencontrées. La plage est un espace de liberté. Elle est aussi le lieu de l'éternelle jeunesse et de ses valeurs revendiquées ; elle apparaît alors comme l'espace d'une contre-culture avant de devenir très vite le lieu de tous les conformismes, du fait du développement d'un tourisme balnéaire de masse encouragé par la société de consommation. Le surfeur d'aujourd'hui, avec ses niches économiques dédiées et ses marques emblématiques, n'est plus exactement celui des origines. L'esprit de liberté et de rébellion des débuts n'est sans doute plus tout à fait le fond de la chose. Mais l'image, le mythe perdurent et ont peut-être encore de beaux jours devant eux.

Et le naturisme advint...

C'est pourquoi je ne pourrai pas terminer ce rapide passage en revue par l'évocation d'une autre pratique qui a pu faire la fortune des bords de mer et leur conférer dans l'imaginaire ce statut d'espace de rupture, celle du naturisme. Comme je l'ai dit, la mode des bains de mer a été pour beaucoup dans la libération des corps. La pensée ou mouvement naturistes ont aussi été des moteurs de cette évolution des mentalités.

Il ne faudrait pas réduire le naturisme à son expression la plus populaire et la plus contemporaine, c'est-à-dire la seule pratique de la nudité collective, parfois associée à la recherche d'une sexualité libérée de toute entrave, avec ses lieux dédiés et ses hot spots de réputation internationale, les plages françaises occupant d'ailleurs une place de premier ordre dans cette affaire.

Car le naturisme est un mouvement ou une philosophie dont la première expression remonte à la fin du XVIIIe siècle et dont le développement connaît différentes formes d'expression ou de pratique dans les dernières décennies du XIXe siècle. Si la nudité partagée peut en être une des voies, en tant qu'elle traduit une volonté de renouer avec un état naturel de l'humanité, libéré des contraintes et des travers de la civilisation industrielle, la philosophie naturiste repose fondamentalement sur la quête d'une revitalisation physique et une incitation à respecter la nature en vivant au plus près d'elle. À quelques égards, elle peut entretenir des liens avec la pensée écologiste, qui se façonne elle aussi selon la même chronologie. En France, le géographe Elisée Reclus en fut l'un des chantres et le mouvement se développa au sein des communautés anarchistes issues du socialisme utopique. Cette philosophie de vie connut un essor considérable en Allemagne et dans les pays scandinaves car elle pouvait s'appuyer notamment sur certaines traditions plus anciennes de partage de la nudité. De fait, les touristes venus d'Europe du nord ou des pays germaniques représentent aujourd'hui une proportion significative du public fréquentant les plages de l'Europe du Sud, pour des raisons liées aux conditions climatiques certes mais aussi parce que ce public peut y trouver les lieux propices à sa pratique du naturisme. La popularisation du mouvement et son adaptation à différents contextes socio-culturels fait qu'il est difficile d'un présenter aujourd'hui un visage unifié. Il est difficile de parler d'une communauté naturiste ; nous avons plutôt affaire à une nébuleuse, avec ses associations plus ou moins officielles. Cela à relier probablement à la revendication de liberté qui fait le fond de la démarche.

Remarques conclusives

Le naturisme reste certes une pratique minoritaire voir marginale dans le cadre global du tourisme balnéaire, même si sa concentration sur certains lieux peut générer une activité économique importante. En outre, le naturisme n'a pas le bord de mer comme unique lieu d'expression. De par la philosophie dont il est à l'origine porteur, il trouve à s'exprimer dans tous les espaces naturels, sauvages, reculés, protégés. Mais il est certain qu'il est plus agréable et plus confortable de le pratiquer sur une plage en plein été qu'à la montagne, en altitude et en plein hiver.

On pourrait s'étonner de me voir clore cet exposé sur ce qui pourrait passer pour un phénomène anecdotique.

Mais il me semble que cette forme d'expression sociale met assez nettement en évidence le caractère particulier du monde balnéaire, le fait que les plages et les espaces littoraux aient, dans notre modernité, joué un rôle intéressant pour comprendre l'évolution des mœurs et des représentations collectives comme l'apparition de nouveaux modes de vie et la définition de certaines valeurs sociales ou culturelles. On ne peut pas envisager la civilisation du loisir et du tourisme sans passer par les bords de mer. La montagne est aussi un haut lieu de cette histoire mais je ne suis pas certain que sa contribution à la culture du tourisme, du loisir et des vacances du XXe siècle soit aussi déterminante. Malgré l'indéniable popularisation des sports d'hiver, la plage reste un lieu beaucoup plus populaire que ne peut l'être la montagne. Également un lieu beaucoup plus facile et libre d'accès.

Enfin, les premiers volets que j'ai mis en avant dans ce passage en revue, ceux par lesquels je montre que les côtes n'ont pas toujours suscité l'engouement qu'elles connaissent aujourd'hui, du fait de leur vulnérabilité, des dangers qu'elles présentent et de leur marginalité dans certaines cultures, ne relèvent pas d'un passé révolu. Il faut accepter de se poser aujourd'hui la question suivante : pourrons-nous toujours, en 2050, considérer nos littoraux comme des zones attractives à fort potentiel de développement ?

ComplémentRéférences :

  • AKASAKA Norio, « Toi, créature de l'autre rive, dis-nous ton nom », Corinne Quentin & Cécile Sakai (dir.), L'archipel des séismes. Écrits du Japon après le 11 mars 2011, Picquier poche, Arles, 2012, p. 121-157.

  • BAUBÉROT Arnaud, Histoire du naturisme : le mythe du retour à la nature, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2004.

  • BOUSQUET B., DUFAUR J.-J., PÉCHOUX P.-Y., « Temps historiques et évolution des paysages méditerranéens », Méditerranée, 48, 1983, p. 3-25.

  • GUERBER Éric & LE BOUËDEC Gérard, Gens de mer. Ports et cités aux époques ancienne, médiévale et modernes, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2013.

  • LEMARTINEL Bertrand, « Submersion marine (en France) », Dictionnaire critique de l'anthropocène, CNRS Éditions, Paris, 2020, p. 767-768.

  • LONGÉPÉE Esmeralda, « Montée des eaux », Dictionnaire critique de l'anthropocène, CNRS Éditions, Paris, 2020, p. 563-565.

  • NUNN Patrick D., « Negotiating and Remembering the End of the World : Insights into Ancient People's Responses to Sea-Level Rise », L'expérience de la catastrophe. Perspectives historiques et géographiques, Norois, 251, 2019/2, p. 15-26.

  • RASSE Michel, METZGER Alexis, « Déluge », Dictionnaire critique de l'anthropocène, CNRS Éditions, Paris, 2020, p. 234-237.

  • SCOCCIMARO Rémi, « Tsunami », Dictionnaire critique de l'anthropocène, CNRS Éditions, Paris, 2020, p. 785-787.

  • L'Odyssée des plages, documentaire en 4 volets d'Emmanuel Blanchard, France, 2020 (diffusé sur France 3 les 7 et 14 septembre 2020).