1. La situation juridique des propriétaires exposés aux risques d'érosion côtière et de submersion marine
Dans les communes balnéaires, et plus généralement dans toutes les communes littorales, les propriétaires d'habitations situées à proximité du rivage sont exposés à deux risques naturels tout à fait spécifiques :
l'érosion côtière d'une part,
la submersion marine d'autre part.
Assez similaires au premier abord, ces deux risques sont en réalité très différents tant du point de vue de leur consistance que de leurs conséquences juridiques.
L'érosion côtière (appelée aussi recul du trait de côte ou avancée du rivage), est un phénomène lent et continu en vertu duquel la mer avance vers l'intérieur des terres en détruisant progressivement le trait de côte. A moins d'une intervention humaine massive (digue, polder) ou d'un changement soudain des forces naturelles, il s'agit souvent d'un processus irréversible. Le phénomène inverse est celui de l'accrétion littorale qui se caractérise par une accumulation de sédiments marins permettant au trait de côte d'avancer en mer. Les deux phénomènes sont parfois liés, l'érosion d'un secteur pouvant alimenter l'accrétion d'un autre situé parfois à proximité.
La submersion marine, en revanche, est un phénomène brutal qui conduit la mer à recouvrir, souvent provisoirement, une portion de terre en raison de la défaillance d'un ouvrage de défense contre la mer (par exemple une digue qui cède), ou en raison de phénomènes naturels d'un intensité exceptionnelle (grande marée et vents violents). Parfois, ces deux événements se conjuguent comme ce fut le cas sur les communes de La Faute sur Mer et de d'Aiguillon à l'occasion de la tempête Xynthia en février 2010 qui fit 47 morts.
Au regard des différents rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), il apparaît que ces risques sont en train de s'intensifier sous le double effet de la montée du niveau des océans et de la multiplication des tempêtes d'une intensité de plus en plus forte. Ainsi à l'horizon 2050, les propriétaires de biens exposés à l'érosion côtière et/ou à la submersion marine devraient être de plus en plus nombreux et ils risquent fort de perdre tout ou partie de leur propriété. Toutefois, d'un point de vue juridique, la situation des propriétaire exposés à la submersion marine est « plus enviable » que celle des propriétaires exposés à l'érosion côtière. En effet, en l'état actuel du droit, l'érosion côtière a pour effet de déposséder les propriétaires de leurs biens, sans aucune indemnisation, tandis que la submersion marine ne remet pas en cause le droit de propriété et peut donner lieu au rachat du bien par l'État.
Cette différence de traitement est la conséquence de la loi. En effet, après la tempête Xynthia, la loi « Grenelle 2 » du 12 juillet 2010 a ajouté la « submersion marine » aux risques naturels énumérés à l'art. L. 561-1 du code de l'environnement. Cet ajout a ainsi fait entrer ce risque dans le champ d'application des « mesures de sauvegarde des populations menacées par certains risques naturels majeurs » issues de la « loi Barnier » du 2 février 1995 et insérée dans le code de l'environnement. En vertu de ces mesures, l’État est autorisé à acquérir par le biais de l'expropriation les propriétés exposées à l'un des risques naturels précités « sous réserve que les moyens de sauvegarde et de protection des populations s'avèrent plus coûteux que les indemnités d'expropriation ». Ce dispositif est plutôt avantageux pour les propriétaires dans la mesure où l’État rachète le bien à un prix qui ne tient pas compte de l'existence du risque. L'évolution de la jurisprudence semble même reconnaître une sorte de « droit à être exproprié » aux propriétaires exposés à un risque naturel majeur (V. R. Hostiou, 2021).
C'est ainsi que sur le territoire des communes submergées par la tempête de 2010, l'État a racheté près de 600 maisons (le plus souvent à l'amiable) pour un prix moyen d'environ 300 000 euros afin de les détruire. Avec l'élévation du niveau des océans, il est fort probable qu'un nombre assez important d'habitations situées sur le territoire des communes balnéaire puisse faire l'objet de mesures analogues, la question du financement se posant dès lors avec acuité.
La situation juridique des propriétaires exposés à l'érosion côtière est en revanche très différente. En effet, le législateur n'est jamais intervenu pour ajouter ce risque à la liste figurant à l'art. L. 561-1 du code de l'environnement, et le Conseil constitutionnel a considéré qu'il n'était nullement tenu de le faire (Cons. const., 6 avr. 2018, n° 2018‑698 QPC, Synd. secondaire Le Signal). Par conséquent, en l'état actuel du droit, les propriétaires dont la mer recouvre régulièrement les biens du fait de l'érosion côtière perdent leur droit de propriété sans aucune contrepartie (Cons. const., 24 mai 2013, n° 2013‑316 QPC, SCI Pascal et a.). Pire, ils peuvent être condamnés à retirer à leurs frais les constructions ou installations qu'ils ont édifiés sur ce qui était leur propriété privée. Cela s'explique par le fait qu'en vertu d'un principe juridique qui n'a quasiment pas évolué depuis le droit romain, aucune propriété privée ne peut être durablement reconnue sur « le rivage de la mer ». Or, le rivage de la mer « est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles » (art. 2111-4 du Code général de la propriété des personnes publiques). Par conséquent, tout terrain qui est régulièrement recouvert par la mer en raison du cycle « normal » des marées (même des plus grandes), bascule automatiquement dans le domaine public maritime qui est la propriété de l’État.
Pour continuer à occuper cet espace, l'ex-propriétaire est alors dans l'obligation de demander au représentant de l'État (le Préfet) une autorisation d'occupation du domaine public dont la spécificité est d'être précaire, révocable et onéreuse. Et le Préfet ne peut pas délivrer une telle autorisation à des fins résidentielles (CE, 6 mars 2002, Triboulet et autres, n. 21646) les occupations privatives du domaine public maritime étant limitativement énumérées par la loi (art. L. 321-1 du code de l'environnement). Par conséquent, s'il ne remplit pas les conditions lui permettant d'obtenir un titre domanial, l'infortuné ex-propriétaire devient un occupant sans titre du domaine public maritime, et il a l'obligation de quitter les lieux au plus vite après les avoir remis dans leur état initial c'est-à-dire après avoir détruit les constructions qu'il a édifiées. Le Conseil constitutionnel a cependant précisé que dans le cas où l'incorporation du bien au domaine public maritime est la conséquence d'un défaut d'entretien d'un ouvrage de défense contre la mer par l'administration, le propriétaire peut demander à être indemnisé de la perte de son bien. En outre, il peut être autorisé à édifier lui-même ce type d'ouvrage pour se protéger. Enfin, la Haute Cour a précisé que dans le cas où la « digue à la mer » édifiée par le propriétaire privée serait incorporée au domaine public maritime « en raison de la progression du rivage de la mer », il ne saurait être forcé de la détruire à ses frais. Il en va en revanche différemment des autres constructions qui doivent effectivement être détruites (CAA Marseille, 15 juillet 2020, SCI Sazia, n° 19MA02691). Dura lex, sed lex !
Le droit français applicable au propriétaire victime de l'érosion côtière est donc très « dur », et il n'est pas certain qu'il soit tout à fait conforme au droit au respect des biens tel qu'il est protégé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. C'est vraisemblablement pour cette raison que le juge administratif a ajouté une exception aux hypothèses d'indemnisation envisagées par le Conseil constitutionnel : un propriétaire dont le bien aurait été incorporé au domaine public maritime en raison de l'érosion côtière peut obtenir « une réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour lui une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général de protection du rivage de la mer »(CE, 22 sept. 2017, SCI APS, n. 400825.) . Cependant, à la lumière de la jurisprudence relative aux servitudes d'urbanisme dont elle est issue, cette exception apparaît largement hypothétique. On peut néanmoins considérer qu'un propriétaire qui perdrait son habitation principale ou son entreprise du fait de l'avancée du rivage pourrait être indemnisé par l’État (V. J.-F Struillou, 2021). C'est ainsi qu'à titre exceptionnel, le législateur est intervenu en 2018 et 2020 pour indemniser les copropriétaires de l'immeuble « Le Signal », à Soulac-Sur-Mer, et menacé d'effondrement en raison de la progression du rivage alors même que cet immeuble avait été édifié à environ 200 mètres de la mer à la fin soixante (V. J.-F Struillou, 2021).
Cette intervention tout à fait spécifique du législateur préfigure vraisemblablement une évolution plus globale de la législation afin de d'envisager la relocalisation de zones urbaines exposées à ces risques naturels, et l'indemnisation plus générale des propriétaires qui en sont victimes. Plusieurs projets de textes ont été étudiés par l'une ou l'autre chambre du parlement, mais aucun d'entre eux n'a abouti pour l'instant. Il est néanmoins probable que d'ici 2050, le droit aura largement évolué.