1.1 La liberté : un processus historique, social et juridique

Les pratiques de plage, en tant qu'activités sociales, s'expriment à travers leur dimension corporelle. Elles résultent de la prise en compte croisée des dispositions sociales des individus avec le contexte historique, culturel, social, géographique, etc. dans lequel elles se déroulent (elles sont ainsi différentes en France, en Chine ou au Brésil). Les pratiques des plages impliquent des techniques corporelles spécifiques en partie communes aux individus qui les fréquentent, prenant leur sens dans un contexte social et spatial et contribuant à instituer ceux-ci en un collectif (les « touristes », les « baigneurs », les « plagistes », les « surfeurs », etc.). Il s'agit de se déplacer, de repérer le lieu approprié aux pratiques (repos, jeu, activité sportive, pêche, etc.), mais aussi de s'approprier l'espace jusqu'à le privatiser (au sens d'usage à soi et pour soi) à l'aide d'objets divers (serviette de plage, parasol, etc.) et permettant en conséquence de le délimiter. Il s'agit aussi de trouver la bonne posture et d'effectuer les gestes qui sont socialement et culturellement attendus dans le contexte finalement strict de normes sociales. Ici s'opère en fait un sévère auto-contrôle (Elias, 1973) des apparences des corps, dont la subtile diversité renvoie à des critères d'âge ou d'identité sexuée et sexuelle, à côté de critères plus classiques de niveau social (Champagne, 1975 ; Kaufmann, 2000).

La plage est donc un lieu particulier d'expressions des goûts et des dégoûts (Bourdieu, 1984), de ce que l'on s'autorise à faire et, à l'inverse, de ce que l'on juge intolérable et socialement indigne. Les plages ne sont pas des isolats où le social et les rapports de domination seraient exclus ou gommés. Christophe Granger explique ainsi que l'histoire de la construction des plages comme territoires progressivement dédiés aux loisirs est largement l'histoire d'une police des corps, dans leur dimension sexuée en particulier : « À dater des années 1920, [...] une multitude d'acteurs se sont groupés au sein d'associations locales d'“honnêtes gens”, [...] pour faire naître, au sujet du territoire balnéaire, une véritable croisade morale », tel « un objet national d'indignation, bientôt baptisé “lutte contre l'immoralité des plages” » (Granger, 2014). Une exposition au musée de Normandie (Caen) en 2009, consacrée à l'histoire régionale du tourisme, montrait une affiche pour le moins coercitive de la « police des bains de mer » à Granville dès 1837. L'article 1 était consacré au partage de la plage en trois secteurs : “une partie exclusivement réservée au bain des femmes, une partie exclusivement réservée au bain des hommes habillés, une partie exclusivement réservée au bain des hommes non habillés”. L'article 3 stipulait : “Il est interdit aux hommes de se promener ou de stationner sur ou le long de la grève occupée par les femmes durant le bain de celles-ci.” (Coëffé, Jaurand, Taunay, 2014). Les dimensions culturelles, sociales et juridiques sont de fait intimement liées.

Aujourd'hui l'accès aux plages est libre. Ce libre accès comprend celui de s'adonner aux activités de son choix. Dans cette perspective, les pratiques de la plage de demain sont entièrement laissées au libre arbitre de ses « usagers ». Cette liberté a d'abord et avant tout pour limite le respect de celle de l'autre. La liberté est en quelque sorte « régulée » par les usages sociaux, ie par la façon dont les usagers occupent et utilisent cet espace. Les bornes juridiques de ces usages ont leur siège dans le pouvoir de police du maire. Tout y est autorisé sous réserve que cela ne porte pas atteinte à l'ordre public, aux bonnes mœurs, à la santé et à la salubrité publique.

Les usages de la plage se déploient entre ces deux bornes : liberté et pouvoir de police du maire.

Ces usages sont multiples. Pour l'essentiel il s'agit de s'adonner à des loisirs qui vont du farniente aux activités physiques et sportives ; les comportements et les pratiques ayant évolué au gré des « courants » sociétaux :

  • la plage comme lieu professionnel,

  • la plage comme lieu thérapeutique,

  • la plage comme lieu de loisirs et d'activités sportives.

Aujourd'hui la plage est un lieu où se côtoient, au gré des évolutions technologiques, des loisirs multiples qui impliquent un partage de la plage.

Il faut sur ce même espace faire cohabiter les individus et les groupes, les différentes générations, les baigneurs, les surfeurs, les kite surfeurs, etc.