Les pratiques de plage sous influence des normes sociales

Le repos à la plage, la lecture, la contemplation, la pêche à pied ou les jeux de bains et la pratique d'activités nautiques sont progressivement devenus sur nos littoraux occidentaux des occupations ordinaires depuis un siècle - même si elles révèlent des inégalités sociales -, au point qu'elles ne se questionnent généralement pas. Le bronzage par exemple, caractérisé par une sorte d'évidente « naturalité » est concomitant des mobilités et expériences touristiques. Inventé en Occident en même temps que la dénudation devenait une pratique socialement et symboliquement permise en certains lieux publics, le bronzage constitue une pratique sociale structurée par le « processus de civilisation » et le « relâchement contrôlé des émotions » développés par le sociologue Norbert Élias (1973). Les postures corporelles et les manières d'investir la plage telles que les manières de se dévêtir, de s'allonger sur le sable ou encore de se baigner sont en effet le produit d'histoires culturelles et sociales qui ne vont en réalité pas de soi.

Le pouvoir des normes sociales est rendu invisible du fait de la régularité historique de ces dernières, au point de penser en apparence « évident » et « naturel » tout comportement qui réponde de manière impensée au régime de normes. Les conduites sociales des individus sont encadrées par les règles de droit et des normes sociales, plus ou moins systématisées selon les configurations socio-historiques. Les normes sociales, structurées à partir des valeurs d'une société qui existent dans la « conscience collective », assurent la régularité, sorte de conformité historique, et le contrôle (social) des conduites individuelles et collectives. Les normes constituent un mode de régulation sociale et ne peuvent être questionnées sans intégrer les régimes de valeurs – entendus comme idéaux collectifs – d'une part puis, de manière combinée, les traditions et les mœurs d'autre part. La coexistence de valeurs et de normes différentes se réalise ainsi de manière plus ou moins harmonieuse selon le niveau de tolérance des individus (inégaux dans leur capacité à imposer leur propre seuil d'acceptation) qui composent une société. Les corps à la plage expriment justement ce paramètre éminemment socio-historique. Il s'agit ici d'un « fait social total » selon la fameuse expression de l'anthropologue Marcel Mauss, au sens où le corps est pénétré par l'ensemble des dimensions, tant économique, sociologique, politique, psychologique, géographique que biologique.

Ailleurs, la plage est définie par le sociologue Jean-Didier Urbain comme un « espace linéaire à la périphérie du monde (...), confin absolu et lieu de rupture ». En revanche elle n'est pas définie par le droit. Le droit appréhende la plage sous l'angle d'un espace, d'un territoire dont il faut organiser l'accès et réguler les comportements des acteurs. D'un point de vue juridique l'accès et l'usage des plages est « libre et gratuit ».

Ce principe a pour corollaire l'impossibilité de s'approprier la plage. La plage relève du domaine public maritime. Ce statut interdit à tout un chacun de privatiser de manière durable la plage, de l'exploiter à des fins économiques (débit de boisson, restaurant, etc.).

La plage est ainsi le lieu de rencontre entre deux séries d'acteurs : celles et ceux qui veulent en profiter à des fins de loisirs, celles et ceux qui offrent des services marchands aux « loisireux ». Le droit qui organise l'accès et l'utilisation de la plage est pensé en lien à une plage disponible, suffisamment grande pour accueillir tout le monde. Cet encadrement pourrait, à la faveur des transformations climatiques qui engendrent une transformation de l'espace, modifier sa surface au point de la réduire, voire de la rendre indisponible, se transformer à la faveur des nouveaux usages qui pourraient émerger.

Pour saisir ce double mouvement de l'usage des plages et de son encadrement déterminé par la transformation de l'espace disponible, il convient d'envisager deux questions : pourra-t-on dans trente ans accéder comme aujourd'hui librement à la plage ? Pourra-t-on dans trente ans continuer à exploiter les plages ? En définitive, la montée des eaux susceptible de réduire l'espace disponible, le libre accès risque-t-il d'être absorbé par l'exploitation économique de la plage conduisant à subordonner l'accès au paiement d'un droit ou encore la plage étant noyée assistera-ton au développement de « camping flottant avec plage aménagée » ?