2.1 La privatisation

Le terme privatisation peut, dans le contexte de la réglementation en vigueur, sembler impropre. Le décret de 2006 affirme que l'accès aux plages est libre.

Pour autant ce décret permet aux communes de concéder des portions de la plage. Dans leur grande majorité les communes conservent cette prérogative qu'elles exercent au cas par cas. Elles conservent ainsi le pouvoir de procéder aux arbitrages en déterminant s'il convient de concéder des portions de la plage, lesquelles, à qui et pourquoi.

Les auteurs du décret de 2006 n'imaginaient probablement pas le scenario d'une concession de l'ensemble de la plage à un opérateur privé. C'est précisément ce qui s'est passé à la Baule. La commune de la Baule a concédé la gestion de la plage à Véolia. C'est là une évolution majeure pour au moins deux raisons. D'une part en raison de l'étendue de la délégation, la commune confiant contractuellement la gestion à un opérateur privé. D'autre part les effets de la délégation. La commune perd la main sur la gestion de la plage qu'elle privatise. Or et même si la concession est encadrée, ce contrat a pour effet d'indexer la plage à une logique comptable.

Pour l'heure l'accès de la plage ne peut pas être conditionné au paiement d'un droit mais ce type de concession dessine cette perspective. Il se peut toutefois au gré de la montée des eaux qu'elle n'aboutisse, la plage ayant disparu.

La prise en compte de cas internationaux permet de singulariser la situation en France. Si des processus de valorisation et de patrimonialisation des plages et des vagues de surf par le politique sont classiques et ce depuis de nombreuses décennies (la ville des Sables d'Olonne communiquait déjà, à la fin du XIXème siècle sur « les plus belles plages d'Europe », Lacanau en Gironde s'affuble du titre de « capitale du surf » dans les années 1980), des stratégies gouvernementales visent à asseoir un usage des plages exclusivement marchand.

Cette modalité d'appropriation d'une ressource naturelle rare contribue à une édification des plages et des vagues de surf en tant que biens matériels privatisés dignes de patrimoine local. En particulier, des agences de voyages spécialisées dans les prestations de surftrip vendent à une clientèle internationale aisée des séjours de surf sur des îles indonésiennes. Les surfeurs séjournant dans les hôtels « luxueux » à proximité des lieux de pratique sont dès lors les seuls autorisés. Les vagues réputées de « Pasta Point » aux Maldives ou de « Cloudbreak » aux Fidji, parmi d'autres, sont ainsi privatisées par les autorités locales ou par des entreprises étrangères (avec l'accord de l'administration locale). La vague de « Pasta Point « sur l'atoll de Chaaya Island est un exemple révélateur de ce processus d'appropriation aux fins exclusivement économiques. Ce petit atoll héberge le Dhonveli Beach Resort and Spa, un hôtel luxueux pour touristes fortunés. Ce dernier, ainsi qu'une dizaine d'autres hébergements localisés dans d'autres atolls, appartient à un tour-opérateur privé, Island Voyage, basé à Malé, la capitale de la République des Maldives. L'unique possibilité de pratiquer le surf sur la vague de l'atoll et de stationner sur la plage est de séjourner dans l'hôtel. Limitée arbitrairement à vingt-cinq surfeurs sur un même créneau, l'usage de la vague implique également de payer un « extra » d'environ cent dollars par session. Une fenêtre est toutefois proposée aux surfeurs ne résidant pas sur l'île : une fois par semaine, il est possible de pratiquer sur la vague de « Pasta Point » (Guibert, 2014).