4. Nouveaux acteurs et nouveaux modes de contestation - De l'aménagement à la gestion à la renaturation
Les grands aménagements structurants des années 1960/1970 reposaient sur un consensus de la société française sur les objectifs de la politique d'aménagement permettant la construction des stations nouvelles en Languedoc-Roussillon, en Aquitaine, la modernisation des stations anciennes avec la construction de nouveaux immeubles, parfois sur les fronts de mer (Nice, Fréjus, Royan, Les Sables d'Olonne, La Baule, le Touquet), le mitage constitué de maisons secondaires et de campings (Presqu'île d'Hyères, presqu'île de Rhuys, littoral de la Bretagne Sud, Oléron, Ré et Noirmoutier).
Déjà localement des associations de protection de la nature se constituent comme la SEPNB, qui milite en Bretagne pour préserver de toute construction, certaines portions de nature. A partir de 1976, l'état par le biais du Conservatoire du Littoral interviendra à son tour (Merckelbagh A., 2009). Cette fin des années 1970 est aussi marquée par des résistances s'appuyant sur une base territoriale : Larzac, Plogoff, Super Phénix et encore dans les années suivantes, oppositions contre le pont de l'île de Ré, le port de plaisance de Trébeurden, la fin des constructions dans les stations nouvelles. Dans certains cas, certaines associations d'opposition relèvent du syndrome NIMBY (Not in my backyard), c'est à dire qu'elles refusent un aménagement à proximité de leur habitation, mais ne s'opposent pas au même aménagement ailleurs. On constate aussi des oppositions aux constructions ne respectant pas la loi littorale de 1986... en Corse comme en Bretagne, la défense des paysages se rapproche des causes indépendantistes. A la Martinique, l'Assaupamar mène des actions pour accéder au littoral privatisé par les hôtels. L'opposition est donc forte entre les logiques de protection de l'environnement et celles qui prônent le développement économique. Pour Philippe Subra (2003), le territoire proche devient un enjeu de plus en plus conflictuel dans la société française.
Depuis les années 1990, au côté des traditionnelles associations de protection de la nature (LPO, Bretagne Vivante, SEPANSO dans le Sud-Ouest (Société pour l'étude, la protection et l'aménagement de la nature dans le Sud-Ouest 1969), ou de riverains qui s'opposent à un aménagement risquant de dévaloriser leur mode de vie et la valeur de leur bien (éolienne à terre, projet éolien en mer (polémique pour le champs éolien en mer au large du Touquet, ou de la Baule, projets portuaires...) de nouvelles organisations militantes se manifestent (eau Pure et eau et rivières en Bretagne s'opposent à l'agriculture intensive de porcs, assignent des communes devant les tribunaux, mènent des actions médiatiques pour montrer la pollution par algues vertes sur les plages bretonnes).
Parallèlement les gestionnaires de la nature et les associations de l'environnement modifient leur regard et leur rapport à la nature. À partir de la fin des années 1990, des actions plus précises, centrées sur la promotion et la préservation d'espaces à caractère sauvage à l'échelle européenne, ont été engagées. Au moins six initiatives ou réseaux peuvent être associés à cette promotion de la wilderness européenne soutenue par des experts de la biologie de la conservation à l'échelle internationale. L'organisation World Wildlife Fund (WWF) constitue l'un des dénominateurs communs de ce mouvement. Les porteurs de projets partagent le même constat de rareté et de menace (artificialisation des sols, fragmentation, changement climatique) pour ce qu'ils désignent comme les espaces de nature vierge en Europe (Barraud, 2013).
Depuis le milieu des années 1990, en France comme dans de nombreux autres pays du monde, l'intégration des avancées de l'écologie, de l'écologie du paysage et de la biologie de la conservation ont un impact grandissant sur les modes de gestion de la nature. Dans le contexte européen, la conservation a souvent été fondée sur la mobilisation d'état de références historiques. Cela a permis d'articuler des objectifs relatifs à la protection des espaces et des habitats à une forme de patrimonialisation des paysages agro-sylvo-pastoraux. Désormais, la restauration de ces tableaux de nature et de paysages, censée assurer le maintien d'un haut niveau de biodiversité, se trouve de plus en plus contestée. Il s'agirait à présent de garantir la restauration des processus naturels en complétant les démarches centrées sur la biodiversité par une attention nouvelle à la fonctionnalité et la naturalité des milieux. Plus précisément, les gestionnaires de la nature sont de plus en plus sensible à l'idée du laisser faire. Restaurer la nature serait-ce alors assurer le bon fonctionnement d'une nature autonome ? La valorisation des principes de non-intervention et de libre évolution des milieux alimente un mouvement de promotion du ré-ensauvagement. Ce mouvement participe à la diversification des ancrages éthiques de la conservation de la nature et au renouvellement des codes esthétiques qui influencent son appréciation.
Ainsi, sur le terrain, le paradigme stabilisateur qui présidait largement au guidage de l'intervention gestionnaire est parfois remis en cause. Le champ lexical évolue, la perturbation peut aussi être entendue positivement. La gestion physique des cours d'eau invite à mieux considérer la dynamique fluviale et le rôle des extrêmes hydrologiques : on ménage des espaces de liberté, les discontinuités écologiques constituées par des artefacts (barrages, digues, seuils) sont appréhendées comme des contraintes à la restauration de la santé des milieux. Sur le littoral, on engage des opérations dépoldérisation (Goeldner-Gianella, 2013). En 1981, le marais de l'Aber en Presqu'île de Crozon, qui avait connu une poldérisation à des fins agricoles au début du XXème siècle, puis qui devait devenir une des marinas du plan touristique de la baie de Douarnenez, à l'instar des aménagements programmés du Languedoc-Roussillon, est rouvert à la mer et aux marées. Ce processus de dépoldérisation, essentiellement pratiquée en Europe du nord où de nombreuses zones endiguées sont à nouveau ouvertes à la mer, accompagne à la fois le déclin agricole et la mise en tourisme de ces espaces de nature par les stations balnéaires.