Jardins urbains et pollution des sols : évaluation des risques et démarches d'experts

Évaluations profanes des risques liés aux jardins collectifs urbains

Trois postures types de jardiniers-amateurs par rapport aux risques sont identifiées

Trois postures types de jardiniers-amateurs
Trois postures types de jardiniers-amateursInformationsInformations[1]

Source : Grenet M. Rémy E, Canavese M., Berthier N, 2016 , Des jardiniers à l'épreuve du sol urbain, L'exemple de jardins collectifs en France, Projets de paysage.

Différentes postures ont pu être observées concernant la contamination des sols. Si celles-ci sont relatives et dynamiques, nous avons tenté d'identifier différents types de discours qui peuvent être schématisés de la manière suivante :

  • les discours « résignés » tenus par des jardiniers, considérant que la contamination relève de problèmes beaucoup plus vastes et qui ne renoncent pas à agir au quotidien par l'adoption de comportements qu'ils estiment vertueux pour la protection de l'environnement ;

  • les discours investigateurs, et parfois quelque peu méfiants, des jardiniers qui demandent des analyses des sols et n'ont pas confiance en la qualité du sol et se méfient du discours des autorités et des responsables des services techniques ;

  • les discours confiants, tenus par ceux qui sont certains de la qualité du sol ou qui ne se questionnent pas sur celle-ci, ou qui ne le souhaitent pas.

  • des jardiniers inquiets qui préfèrent abandonner le jardinage, changent de jardin à l'annonce d'une contamination, cultivent uniquement des fleurs ou ne consomment pas les végétaux cultivés.

Ces trois types de positionnements, loin d'être exhaustifs ou figés, permettent néanmoins de mettre à jour certaines attitudes ou certains discours rencontrés au sein des jardins.

En examinant les discours, les pratiques et les logiques d'action des jardiniers, nous avons mis en évidence différentes postures (résignés, confiants, investigateurs) quant à l'approche des contaminations urbaines, postures qui, évidemment, sont des modèles qui se superposent et se combinent. Ni exhaustives ni figées, ces postures montrent différentes formes de hiérarchisations profanes des risques. Les représentations des risques et de la contamination s'établissent en croisant la réappropriation de discours et de données scientifiques, les expériences personnelles et sensibles acquises au jardin et le rôle que les jardiniers assignent au jardin. Ces évaluations profanes mêlent des arguments pratiques, éthiques, cognitifs, etc., qui jouent sur les risques assumés par les jardiniers lorsque des problèmes de contaminations des sols apparaissent : elles montrent différentes manières de « vivre avec » les contaminations et les arbitrages faits par tout un chacun pour concilier une activité volontaire, désirée et non subie, à savoir le jardinage dans son environnement urbain.

Attitudes des postures types de jardiniers-amateurs (Marine Canavese, 2015)

Son profil

Le confiant

Le résigné

L'investigateur (dont : )

Attitude

  • Se rend aux réunions

  • Lit les courriers

  • Peut aller jusqu'à poser des questions

  • Respecte les mesures de gestion

  • Peut vouloir participer à des mesures de gestion de la pollution

  • Ne nie pas la pollution et peut même l'observer sur sa parcelle (bruit, débris, connaissance du passé du site ...)

  • S'il y a pollution, n'est-elle pas exagérée ?

  • Ne participe pas ou peu aux réunions publiques

  • Peut respecter les mesures gestion mais seulement pour ne pas être expulsé du jardin

Le jardinier-expert :

Le théoricien du complot : 

  • Se préoccupe des pollutions de sa propre initiative (inquiet, veut comprendre par lui-même)

  • Ne s'appuie pas, voir se méfie, des institutions

  • Nie la pollution, elle n'existe pas et a été inventée

  • Peut respecter les mesures de gestion mais seulement pour ne pas être expulsé du jardin

  • Ne participe à aucune réunion ou expérimentation (par exemple n'ouvre pas sa parcelle aux chercheurs)

Outils mobilisés

Outils institutionnels (lettres, réunions publiques, etc...)

  • S'approprie les outils des scientifiques et monte en compétences (commande analyses de sols, sollicite des chercheurs ou des bureaux d'étude pour l'aider à l'interprétation des résultats, lectures et recherches bibliographiques, etc...

  • S'approprie les outils des scientifiques et monte en compétences (commande analyse de sols)

  • S'appuie sur les autres jardiniers et un contexte associatif déjà souvent conflictuel

  • Utilise des temps informels et la rumeur pour répandre ses idées

Principaux arguments

  • La collectivité (ou le scientifique) a raison et lui fait confiance

  • S'il peut jardiner c'est que le sol est "propre" à l'activité de jardinage

  • Peut utiliser l'argument des anciens qui "ne sont pas malades"

  • Risque de contamination est un risque parmi d'autres

  • L'activité de jardinage prime sur le risque

  • "si on meurt de ça on meurt de tout"

  • Argument des anciens qui "ne sont pas malades"

  • La motivation peut être la question de la responsabilité (exemple des associations porteuses de projet qui commandent des analyses de sols)

  • Motivations de départ variables

  • La pollution n'existe pas et a été inventé

  • La pollution est un prétexte qui sert une autorité (récupération du foncier, bureau de l'association qui en profite pour expulser certains jardiniers, etc...)

Il faut aussi mentionner le cas des jardiniers "inquiets" qui décident de quitter le jardin lorsque des risques de contaminations sont mentionnés, jardiniers que nous n'avons pas pu rencontrer mais ont été mentionnés dans 3 jardins

L'expérience de jardins contaminés en Ile-de-France montre que l'information ne se diffuse pas uniformément à l'échelle du jardin concerné - notamment auprès des nouveaux arrivants (Canavese, 2015). Concernant le respect des recommandations lorsqu'elles sont faites aux jardiniers : dans tous les jardins étudiés sur lesquels il y avait des recommandations faites sur l'interdiction de cultiver des légumes ou de les consommer, nos enquêtes ont montré que seuls quelques jardiniers respectaient ces recommandations, et s'ils le faisaient, ce n'étaient que sur une courte période et par crainte d'être expulsés du jardin. Ce sont les raisons pour lesquelles certains jardins pollués en France ont dû fermer car les recommandations des experts n'étaient pas suivies sur le long terme.

Nos travaux de recherche ont montré des exemples originaux d'échanges avec des jardiniers autour de la question de contaminations des sols de leurs jardins, lors de restitutions de nos résultats d'analyses. A titre d'exemple, une étude menée à Nantes dans le cadre d'une thèse permet à une chercheuse en sciences biotechniques d'intervenir sur une parcelle dans un jardin familial contaminé au plomb qu'elle cultive avec des jardiniers amateurs, en analysant systématiquement les légumes cultivés en laboratoire. La présence régulière de cette chercheuse permet des échanges constructifs avec les jardiniers concernés sur le long terme (Canavese, 2016).

Face à ces problèmes qui sont aujourd'hui sur le devant de la scène, une association de jardins partagés envisage une autre forme de hiérarchisation des risques qui vise à comparer la qualité des légumes de jardins à celle des légumes issus de l'agriculture conventionnelle (Baudelet, 2015). Toutefois, la grande différence entre l'agriculture (dont le sol est certes parfois aussi à questionner) et le jardin est que certains jardiniers étant en auto-consommation ont un risque plus élevé par rapport à la consommation de fruits et légumes provenant de multiples sources d'approvisionnement. De plus, il existe d'autres voies d'exposition inhalation ou ingestion de poussières contaminées qui ne sont pas prise en compte lorsque l'on se focalise uniquement sur la consommation des produits cultivés – enfin les pesticides dans les jardins n'ont pas été mesurés.

Les jardins collectifs peuvent présenter un risque sanitaire du fait de leur localisation en milieu urbain. Lorsque la pollution est avérée, les principales voies d'exposition sont l'ingestion de terre par les usagers des jardins (jardiniers, enfants, consommateurs) et la consommation des fruits et légumes cultivés. D'autres risques potentiels sont liés au contact cutané avec le sol, à l'inhalation de poussières, à la qualité de l'eau d'arrosage (risque bactériologique) et à la qualité de l'air principalement pour les jardins jouxtant les infrastructures de transport.

Ces deux tendances se retrouvent également dans les guides orientant le jardinage en ville. Précisons qu'à Paris nous avons mené une recherche documentaire et une enquête auprès de l'ensemble des acteurs concernés par cette question alors que seule une étude documentaire a pu être réalisée pour le cas de Toronto.

En l'absence de valeurs réglementaires adaptées à la question de la contamination/pollution des sols destinés au jardinage urbain, les deux collectivités étudiées (Toronto et Paris) ont décidé d'élaborer leur propre stratégie basée sur l'état des connaissances scientifiques - en évolution permanente et donc susceptibles de modifier les choix pris en un instant donné. Les cas de la ville de Toronto (City of Toronto, 2011) en Amérique du Nord (USA, Canada) et de la ville de Paris en France sont particulièrement intéressants à étudier afin de mettre en évidence le positionnement de chacune des villes en termes d'enjeux sanitaires.

Source : Nous reprenons ici une synthèse des démarches mise en œuvre dans ces deux villes, publication en cours.

  1. RESECUM

Les enjeux des jardins collectifsParis : « on ne cultive pas dans le sol en place »
AccueilAccueilImprimerImprimerRéalisé avec Scenari (nouvelle fenêtre)