2.1.2 Exemple concret: cas des peintures antisalissures

Les navires vont plus vite et consomment moins de combustible lorsque leurs coques sont propres et exemptes d'organismes salissants tels que algues et mollusques, et c'est la raison pour laquelle on les recouvre de systèmes antisalissures. Au cours des années 1960, l'industrie chimique a mis au point des peintures antisalissures efficaces et peu coûteuses à base de composés métalliques, notamment le tributylétain. Depuis les années 1970, la coque des navires de mer est recouverte de peintures au TBT qui a été largement utilisée avec l'explosion de la construction navale et de la plaisance (Europa press released -IP/02/1045 du 12/07/2002).

L’eau de mer hydrolyse le liant à copolymères présent dans la peinture, ce qui libère lentement le tributylétain (biocide) à raison de 5µg.cm-2.jour-1, et la résine à copolymères. La peinture se désintègre couche par couche en exposant continuellement une nouvelle couche qui se trouve à son tour au contact de l’eau de mer et libère à nouveau des biocides (phénomène de lixiviation).
2.1.2.1 Devenir dans l'environnement A/ Pollution de l'eau
Au cours des années 1980, des concentrations dangereuses de TBT ont été détectées dans de nombreux estuaires et secteurs côtiers de part le monde :
-   Dans l’eau, où elles pouvaient atteindre des milliers de nanogrammes par litre (Bryan et Gibbs, 1991; Garrett et Shrimpton, 1995), alors qu’on sait aujourd’hui que le TBT est toxique dès 0.4ng.l-1.
-   Dans les sédiments (exemples tableau 15) alors que désormais la concentration journalière admise par l’OMS est de 0,25µg/kg (Thèse de Y. Yvon, 2008, « Développement d’une méthode de décontamination active des sédiments portuaires pollués en tributylétain par électromigration »).

Tableau 15: Concentrations en TBT dans les ports d'Arcachon et Brest Source : Ifremer (http://envlit.ifremer.fr/infos/glossaire/t/tbt)

Les sédiments profonds sont également contaminés, comme l'atteste une carotte prélevée dans le port de la Trinité-sur-Mer qui montre des niveaux en TBT sensiblement constants jusqu'à une profondeur de 80 cm.

Dans l’eau de mer, le TBT se trouve à l’état dissous sous forme d’hydroxydes de carbonates ou de chlorures. Il a peu d’affinité pour la phase particulaire : 5 % seulement du TBT est associé aux matières en suspension.
Le TBT peut être décomposé dans l’eau sous l’effet de la lumière (photolyse) et des micro-organismes (biodégradation) et produire du di- et du monobutylétain qui sont moins toxiques. Sa durée de vie mesurée dans des conditions environnementales varie entre quelques jours et quelques semaines.
Les cinétiques d’adsorption sur les sédiments sont lentes et les taux de désorption non significatifs. En conséquence les échanges entre sédiments et eaux interstitielles sont très limités et la fraction susceptible d’être désorbée par agitation des sédiments est inférieure à 1 %. (IFREMER).
Lorsque le TBT est accumulé dans les sédiments, en l’absence totale d’oxygène, sa demi-vie peut être de plusieurs années. Ainsi, les eaux au fond desquelles reposent de fortes quantités de sédiments, telles que celles des ports et des estuaires, risquent d’être contaminées pendant plusieurs années.
2.1.2.1 Devenir dans l'environnement B/ Bioconcentration
Le TBT est dangereux du fait de son potentiel de bioaccumulation dans les tissus animaux et de l'incapacité de la plupart des organismes à le métaboliser. C’est ainsi qu’on peut mesurer une faible concentration du TBT dans un prélèvement d’eau effectué sur un site donné, mais que l’analyse des tissus animaux prélevés sur ce même site révélera une concentration bien plus élevée à cause de ce phénomène de bioaccumulation.
Le potentiel de bioamplification du TBT est encore mal connu, mais les données recueillies jusqu'à présent portent à croire que les composés organostanniques (désigne un produit de synthèse dérivé de l'étain.) ne présentent peut-être pas ce potentiel.
2.1.2.2 Effets dans l'environnement A/ Effets sur les organismes
Le TBT est un perturbateur endocrinien puissant. Ce puissant toxique engendre des effets délétères sur l’environnement car de nombreuses espèces végétales et animales y sont sensibles, à des doses infinitésimales. Des effets biologiques sont observés à des concentrations en TBT dans l’eau de mer inférieures au seuil de détection actuel de la chimie analytique (0,4 nanogramme par litre). Parmi les réponses biologiques mesurables, la plus sensible est la masculinisation des femelles de certaines espèces de gastéropodes marins : l’Imposex. Ce phénomène est un bioindicateur spécifique puisque son intensité est proportionnelle à celle de la pollution par le TBT. Un deuxième indicateur significatif de la contamination et le phénomène de chambrage, c’est à dire l’épaississement de la coquille, chez les bivalves (huîtres).

- L'effet « imposex »


L'effet « imposex » est l'imposition et le développement de structures reproductrices mâles, tels le pénis et le canal déférent, chez les buccins femelles (Figure 19). Dans un stade aigu, les femelles deviennent stériles mettant en péril le renouvellement des populationsLa cause semble être une augmentation de la concentration en testostérone et une diminution de la progestérone et du 17b-oestradiol (hormone sexuelle féminine). On a constaté que plus de 40 espèces sont touchées par l'effet « imposex », bien que l'influence directe du TBT n'ait pas été établie dans tous les cas. Les deux espèces de gastéropodes utilisées en tant que bioindicateurs du TBT sont Nucella lapillus et Ocenebra erinaceus.

Figure 19: Les différents stades d'évolution de l'imposex chez Nucella lapillus. (Source : (Amiard, 2011))

Pour en savoir plus, rapport 2012 de l’Ifremer sur le suivi de l’Imposex :
http://envlit.ifremer.fr/content/download/81388/558767/version/4/file/2012+Imposex+Rapport+Toxem.pdf

- L'épaississement de la coquille
L'influence de concentrations de l’ordre de 2 ng.l-1 sur la calcification (chambrage) des coquilles d'huîtres creuses Crassostrea gigas a été observée in situ (essentiellement le long de la côte du Pacifique et en France, à Arcachon et à la Rochelle principalement) et au laboratoire. Les perturbations se traduisent par la formation de chambres remplies d'une substance gélatineuse et l'absence de croissance. Le chambrage affecte la qualité marchande des huîtres, mais la contamination n’a pas d’impact sur la consommabilité des coquillages : le facteur de bioaccumulation dans les tissus étant réputé faible (de l’ordre de 1000) et la toxicité du TBT pour les mammifères étant limitée.

La reproduction des bivalves est affectée à partir de concentrations supérieures à 20 ng.l-1, (baisse de fécondité, mortalité massive des naissains, inhibition de la croissance des rares individus survivants). Ce phénomène de chambrage, la chute de la production dans le bassin d’Arcachon (de 15.000 à 3000 tonnes en 1981) et la crise économique sévère qui s’en est suivie chez les ostréiculteurs ont été à l’origine des décisions réglementaires en France et de l’interdiction du TBT. (source : La chimie et la mer: Ensemble au service de l'homme – éd. EDP sciences, 2009).

Pour en savoir plus : http://archimer.ifremer.fr/doc/1983/publication-1828.pdf

Chambrage d’huîtres soumises à une exposition au TBT(20 ng/L). Source : Ifremer

2.1.2.2 Effets dans l'environnement B/ Effets sur l'environnement
La principale conséquence des perturbations endocriniennes pour l'environnement est la diminution de la biodiversité avec deux effets la diminution des ressources alimentaires humaines et la disparition éventuelle de nouvelles molécules thérapeutiques pour l'homme.


Figure 20: Menace sur la biodiversité (Source : Florian Roulies)

Activité

Définir un « biomarqueur ».
D'après ces données, pouvez-vous citer un biomarqueur spécifique du TBT ?

2.1.2.3 Exposition et évaluation du risque A/ Exposition
Le tributyIétain est accumulable et se retrouve majoritairement dans le sédiment où il est adsorbé sur les particules organiques. Son potentiel toxique est donc particulièrement fort sur le recrutement (compensation des morts par les naissances) des espèces benthiques Lien 6 et plus particulièrement des stades larvaire et juvénile.

En effet, l'exposition des individus immatures à 1 ng TBT.l-1 induit le phénomène d'imposex, alors que les adultes réagissent au delà de 5 ng TBT. l-1 (Tyler et al., 1998). Aux USA, l'EPA (Environmental Protection Agency) considère que la concentration maximale du TBT dans l'environnement aquatique ne doit pas excéder 20 ng. l-1. Depuis l'interdiction du TBT en 1987 sur les bateaux de moins de 25 mètres, une décroissance significative des fréquences d'imposex est observée sur le murex (Minchin et al., 1995).
Néanmoins, dans certains ports et sur les routes fréquemment empruntées par les navires, cette valeur seuil est largement dépassée atteignant parfois plus de 30 ng TBT. l-1 (Tyler et al.,1998). (source : http://archimer.ifremer.fr/doc/00076/18758/16328.pdf ).

Ce phénomène devrait être amélioré par une résolution de l’Organisation Maritime Internationale qui interdit depuis septembre 2008 la présence du TBT sur les parties externes de toute entité entrant dans une zone portuaire française.

Par ailleurs, et en réponse aux exigences de la commission OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est), depuis 2003 un suivi de l’intensité de l’Imposex est réalisé le long des côtes françaises atlantiques et de la Manche. Ce suivi met en valeur une baisse continu et significative de ce phénomène et illustre l'amélioration globale des conditions environnementale liées au TBT, malgré l’existence de sites encore très impactés comme le Havre, Brest et Concarneau. (rapport 2012 : http://envlit.ifremer.fr/content/download/81388/558767/version/4/file/2012+Imposex+Rapport+Toxem.pdf )
2.1.2.3 Exposition et évaluation du risque B/ Evaluation du risque
Source : « Document d’orientation des décisions – composés du trybutilétain » - de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FIAT PANIS) et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP). www.pic.int/Portals/5/DGDs/DGD_TBE_FR.pdf

D'après l'évaluation des risques effectuée par la Communauté Européenne, quatre scénarios d'exposition aquatique ont été examinés et l'on a déterminé, sur des espèces sensibles, la concentration prévue dans l'environnement (CPE), la concentration prévue sans effets (CPSE) et le rapport CPE/CPSE pour chacun des quatre types de rejets identifiés dans le milieu aquatique. Les quatre scénarios étaient les suivants :
1.    Rejet dans les eaux de surface imputable à la fabrication d'Oxyde de Tributylétain (OTBE) ;
2.    Rejet dans les eaux de surface imputable à la fabrication de peintures copolymères autopolissantes à base de TBT ;
3.    Rejet dans les eaux de surface imputable aux pratiques des chantiers navals ;
4.    Rejet dans les eaux de surface imputable à l'utilisation de TBT sur les navires dans le milieu marin, saumâtre ou dulçaquicole.

Tableau 16: Scénarios d'exposition aquatique - CPE, CPSE et rapport CPE/CPSE utilisés pour chacun des quatre scénarios d’exposition aquatique (Atkins International Ltd., 1998)

Un rapport CPE/CPSE supérieur à 1 dénote un risque inacceptable.

Il n’a pas été possible de déterminer exactement les concentrations dans l’eau résultant du rejet de TBE imputable à la navigation seule, mais ce rapport CPE/CPSE alarmant suffisait pour établir que c’était dans les zones de navigation intense, et dans les eaux avoisinant les chantiers navals que le risque était inacceptable. Le rejet des TBT étant difficilement maitrisable, c’est donc bien par la restriction puis l’interdiction complète des peintures antisalissures à base de TBT qu’est passé et passera l’amélioration de la situation.

Figure 21: Effets de la pollution (Source: http://www.afleurdepau.com)

2.1.2.4 Mesures de prévention A/ Réglementation
Source principale  :(Durand, 2011 (2011). Détection du dibutyl et tributylétain par un bioessai bactérien : application au contrôle des peintures antisalissures. www.techniques-ingenieur.fr.)
En raison de la forte toxicité du TBT et des conséquences économiques néfastes sur l'activité ostréicole, la France a été le premier pays à interdire l'usage des peintures antisalissures à base d'organoétains.

-   Interdiction par décret en date du 17 janvier 1981 pour les bateaux de moins de 25 mètres de long. Dans un premier temps, seuls les départements riverains de la Manche et de l'Atlantique ont été concernés, puis rapidement cette interdiction s'est étendue à toutes les côtes françaises.
-   Des mesures comparables ont été prises en Grande-Bretagne, puis dans différents pays à partir de 1988 (États-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande...). L’Organisation Maritime Internationale (IMO, International Maritime Organzation) propose l'interdiction du TBT suite aux recommandations du MEPC (Marine Environnement Protection Commitee) comme agent antisalissure.
-   La convention Internationale AFS (Anti Fouling system) est adoptée le 5 octobre 2001 par l’Organisation maritime internationale (OMI), reprise par le règlement européen CE n°782/2003 du 14 avril 2003. Elle prévoit qu’à partir du 1er janvier 2003, l’utilisation de peintures à base de TBT soit interdite.
-   Depuis les 1er janvier 2008 la présence de TBT sur les coques de tous les bateaux est interdite. Les anciennes peintures ont dû être enlevées ou stabilisées pour prévenir tout risque de contamination du milieu marin par les organostanniques. Cette réglementation s'applique à tous les navires dont les pays ont signé la convention AFS. En France, selon le décret n°2008-1125 du 3 novembre 2008, un navire peut être inspecté dans tout port, chantier naval ou terminal au large. Le navire doit avoir à son bord un certificat international du système antisalissure, ou une déclaration en cours de validité (article 11, décret n°2008-1125 du 3 novembre 2008). En cas de doute, un échantillonnage du système antisalissure du navire qui ne nuise ni à l'intégrité, ni à la structure, ni au fonctionnement peut être effectué.
2.1.2.4 Mesures de prévention B/ Alternatives
Les biocides alternatifs à base de cuivre ou de zinc existent mais ils présentent également des risques. D’autres solutions ont été développées comme des revêtements de silicone, des systèmes émetteurs d’ultrasons, des peintures en phase aqueuse, des lubrifiants à base de graisse, d’huile ou de téflon. Cependant aucune de ces alternatives n’est exempte de risque pour l’environnement, et leur coût est bien souvent plus élevé pour une efficacité souvent moindre dans le temps (source : Lettre de Veille Eurolarge – Peintures et Revetements – Decembre 2010 ; http://www.eurolarge.fr/wp-content/uploads/2011/02/Lettre-de-Veille-Eurolarge3_Peintures-et-Revetements1.pdf )

Des recherches sont actuellement menées pour trouver de nouvelles alternatives, comme ce projet mené au sein du Pôle Mer Bretagne : http://defenseetenvironnement.blogspot.com/2011/06/paintclean-peinture-antisalissure.html

http://www.sudouest.fr/2011/09/14/un-president-inquiet-498372-706.php

http://defenseetenvironnement.blogspot.com/2011/06/paintclean-peinture-antisalissure.html
 
Définition

Désigne les techniques d'extraction de produits solubles par un solvant, et notamment par l'eau circulant dans le sol ou dans un substrat contenant des produits toxiques

Définition

La bioaccumulation est l’absorption de substances chimiques, présentes dans l’environnement, et leur concentration dans certains tissus par les organismes

Définition

Augmentation cumulative, à mesure qu'on progresse dans la chaîne alimentaire (chaîne trophique), des concentrations d'une substance persistante.

Définition

molécule qui mime, bloque ou modifie l’action d’une hormone et perturbe le fonctionnement normal d’un organisme

Définition

anomalie de la calcification des coquilles se traduisant par l'apparition dans la coquille de chambres remplies d'une substance gélatineuse translucide

Définition

Espèce qui vit en étroite relation avec le fond des eaux.

Référence bibliographique

Durand, M.-J. - (2011). Détection du dibutyl et tributylétain par un bioessai bactérien : application au contrôle des peintures antisalissures. www.techniques-ingenieur.fr.